Wednesday, April 1, 2009

Economie de la Prostitution au Burkina Faso: la Fiscalisation est-elle une Solution Optimale ?

Dans un marché compétitif les biens ou services qui méritent d’être produits le sont et ceux qui ne le méritent pas sont simplement délaissés. C’est- à -dire que si un producteur (entendez aussi prestataire de service), en intégrant tous les coûts de ses facteurs de production, arrive à faire du profit sur son produit c’est qu’il crée une certaine valeur pour la société. Autrement le produit ne sera pas profitable et le producteur oubliera très vite son invention. Voila le principe de l’efficience économique. Tant que ce principe tienne le marché va toujours exister –même s’il doit vivre dans la clandestinité à cause d’une censure- car producteur et consommateur y trouvent leur compte.

Mais le marché est rarement parfaitement compétitif et donc le principe de l’efficience économique est très souvent mis en péril. Par exemple, il arrive que le consommateur soit imposé un prix pour un produit parce-que ce produit est introuvable chez un autre producteur ou qu’il est irremplaçable (cas de la monopolie). Le producteur également peut ne pas être entièrement compensé pour ses efforts de création de la valeur au profit de la société. C’est le cas lorsque le prix accordé au producteur pour son produit ne capture pas en réalité tous les avantages liés à la production du produit. Les économistes qualifient cela d’externalité positive par opposition à l’externalité dite négative qui peut décrire une situation parallèle ou le producteur, de par son activité économique, impose des coûts élevés à la société. Dans l’un ou l’autre de ces cas, l’intervention de l’Etat s’avère nécessaire pour rétablir un ordre socio-économique mieux équilibré.

Au Burkina Faso(BF), la prostitution est perçue comme un phénomène qui engendre des externalités négatives. En effet, le code pénal de 1996 punit seulement la prostitution par racolage (article 423) et l’exploitation financière des personnes engagées dans la prostitution, c’est-a-dire le proxénétisme (article 424). Ainsi, le souci du législateur semble se porter plus sur les conséquences morales de la prostitution que sur la prostitution elle-même : une personne peut vivre de la prostitution pourvu qu’elle ne trouble pas l’ordre public ou qu’elle n’incite pas à la débauche d’autres personnes. En clair, le législateur est tolérant vis-à-vis de la prostitution mais il entend tout de même préserver les bonnes mœurs. Une telle disposition législative reflète bien les réalités du BF qui est un pays laïc mais très croyant.

En dehors du fait que la prostitution peut blesser la sensibilité de certaines personnes, il y a les risques de transmission de maladies et le développement du crime. Selon les estimations de l’OMS, le taux de prévalence du SIDA chez les prostituées excède 30% alors qu’il est de 1,6% au plan national. Ce qui fait de ce groupe spécifique un vecteur potentiel de la propagation du SIDA. En outre, la prostitution rime quelquefois avec trafic de drogue, vols à main armée, agressions physiques ou sexuelles, toute chose qui augmente l’insécurité dans un pays. Pour toutes ces raisons, il importe que le BF puisse contrôler l’évolution du phénomène. Mais comment y parvenir?

Les mesures abolitionnistes qui visent à interdire la prostitution brillent par leur inefficacité car elles sous-estiment les forces du marché. Ces mesures échouent parce qu’elles s’attaquent généralement à l’offre (personnes engagées dans la prostitution) et rarement à la demande (clients). Une théorie économique, la Loi de Say (de l’économiste français Jean Baptiste Say) semble légitimer une telle approche. Say prétend que c’est l’offre qui détermine la demande et non l’inverse. Ce qui sous-entend qu’il est théoriquement possible d’anéantir la demande en supprimant l’offre.

Le maire de notre capitale (Ouagadougou), Mr. Simon Compaoré, est un adepte modéré de l’approche abolitionniste à en juger par ses agissements. En Février 2008, il a encore lancé un bras de fer (le premier en 1995 a échoué) contre les gestionnaires des maisons closes (communément appelées chambres de passe) qu’il accuse d’encourager la prostitution de par leur commerce. Le maire exige donc la transformation de ces structures en maisons d’habitations conformément à l’usage qui en était destiné. Mais devant les protestations des gestionnaires de ces maisons closes, organisés en association, il a dû leur concédé un délai de sursis d’un an pour obtempérer.

Supposons alors que d’ici un an la décision du maire soit suivie à la lettre faisant de Ouagadougou une ville sans chambres de passe. La prostitution restant légale, on peut craindre la prolifération de scènes obscènes dans la rue, les bars, jardins publics et autres endroits publics à moins que les forces de l’ordre ne redoublent de vigilance. Un tel effet pervers de la politique du maire est possible au regard de la pression sociale et de l’insécurité dans le milieu qui font que le domicile est impropre à l’exercise de la prostitution. Or, plus de mobilisation des forces de l’ordre exige plus de ressources publiques. Poursuivons notre analyse. Prenons un cas extrême où la prostitution deviendrait entièrement illégale sur tout le territoire national et que l’Etat se décide vraiment à faire appliquer la loi. La demande de la prostitution restant intacte, la prostitution rentrerait désormais dans la clandestinité et l’Etat perdrait définitivement le pouvoir de contrôle sur le phénomène.

Vous conviendrez avec moi que certains aspects de la Loi de Say manquent de pragmatisme. On ne met pas un produit sur le marché pour créer un besoin. On met un produit sur le marché pour répondre à un besoin déjà existant. C’est du moins c’est qu’on observe dans la vie courante. La prostitution existe parce la demande de la prostitution existe et si elle prolifère c’est parce que la demande est si forte qu’elle est devenue un commerce profitable suscitant des convoitises. Pour se convaincre de cette opinion, imaginez une situation idéale où personne (même pas un étranger en bref séjour dans le pays) ne demanderait les services d’une personne prostituée pour une durée indéterminée. La prostitution disparaitrait à n’en pas douter en moins de deux ans car sa valeur marchante tombera à zéro.

Par conséquent, il faut agir à la fois sur l’offre et la demande (en instituant par exemple une taxe) pour combattre plus efficacement la prostitution. La solution fiscale est d’ailleurs privilégiée par les gestionnaires des maisons closes de la ville de Ouagadougou mais elle n’est apparemment pas du goût de la mairie. J’appellerais cela une approche de marché. Elle est pratique parce qu’elle est susceptible d’exploiter judicieusement le mécanisme du marché pour contenir le développement du phénomène.

J’entrevois plusieurs avantages liés à la fiscalisation de la prostitution. Premièrement, les revenues provenant de la collecte de ces taxes pourront revenir entièrement aux personnes prostituées et aux gestionnaires des maisons closes sous forme de soins et examens médicaux, prise en charge scolaire ou formation professionnelle, encadrement sur le plan hygiénique, etc. Deuxièmement, une taxe rendra la prostitution plus coûteuse et donc moins attractive pour les personnes prostituées et leurs clients. En effet si le tarif devient élevé, certains clients seront obligés de se détourner de la prostitution entraînant avec eux la « chute » des personnes prostituées aux charmes moyens. Pour ces dernières la seule porte de sortie sera alors de changer de « métier ». Par contre la prostitution de luxe connaitra un certain essor mais le résultat net sera une diminution significative de l’ampleur de la prostitution sans que l’Etat ne soit contraint de dépenser excessivement. Troisièmement, en fiscalisant la prostitution, l’Etat aura à sa disposition un mécanisme efficace de contrôle et de supervision des personnes prostituées et des gestionnaires de maisons closes étant donné qu’un système de fiscalisation ne peut être mis en place sans une identification de ces groupes cibles. En bref, une taxe sur la prostitution contribuera à amoindrir les effets des externalités négatives dont j’ai évoqué plus haut.

Cependant, la mise en œuvre d’une fiscalisation de la prostitution au plan national ne peut se faire sans quelques difficultés. Elle va sans doute nécessiter l’adoption d’une loi à l’Assemblée Nationale et nos honorables députés, s’ils acceptent de débattre de ce sujet à caractère tabou, exigeront des réponses satisfaisantes aux questions suivantes: Quel taux fiscal faut-il appliquer aux maisons closes ? Le même taux sera-t-il appliqué aux personnes prostituées ? Comment collecter ces taxes ? Quelles mesures prendre à l’égard des contrevenants ? Est-il éthique pour un Etat de gérer des fonds liés à l’industrie du sexe ?

Des réponses à de telles questions, pour être convaincantes, devront être basées sur une évidence solide. Je recommande donc vivement à nos autorités publiques une analyse poussée des coûts et bénéfices pouvant résulter de la fiscalisation de la prostitution et des autres alternatives politiques. A mon humble avis, seule une telle démarche nous permettra de trouver des solutions durables aux problèmes posés par la prostitution dans notre pays.

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